une épopée gonzo dans la Varsovie contemporaine
SNOW AND SAND
SNIEG I KURZ
שניי און זאַמד
SCHNEE UND STAUB
NEIGE ET POUSSIERE
SNOW AND SAND
SNIEG I KURZ
שניי און זאַמד
SCHNEE UND STAUB
NEIGE ET POUSSIERE
1. Métamorphose
La différence entre une pute et une escort, c’est cinq ans d’études, et Varso, cette vieille catin soviétique de bord de route, que les camionneurs payaient en palettes se métamorphosait sous nos yeux en une escort maquillée aux néons de Starbucks, McDonalds, Prada, Cartier.
2. Neige et Poussière
Au-delà de l’aventure, de la fuite, de combattre des chimères, au-delà de rencontrer des fantômes, et si ce que nous étions venus chercher, dans cette cité de neige et de poussière, c’était des questions ?
3. Boue
« Ce serait bien de construire un trottoir pour ne pus s’enliser dans la boue en sortant dans la cour de la ferme ou en allant à l’écurie.
-Balivernes !
-Pourquoi ?
-Parce que la boue, c’est la boue ! Si je fais un trottoir, ils vont me le démolir dans trois jours. Tandis que la boue, ça ne se détruit pas. La boue, c’est la boue !
-La boue, c’est la boue, mais uniquement chez nous ! Ailleurs, non ! Ils arrivent à s’en rendre maîtres. Mais chez nous, la boue est tellement boue qu’avec cette boue…
-Tu es bête ! En voilà des chimères ! Il faut penser concrètement. Chez nous, les conditions sont différentes »
Gombrowicz, Souvenirs de Pologne.
4. Neige
« Je me demandais où allaient les canards quand le bassin était tout gelé, tout couvert de glace. Je me demandai tout à coup si un type venait avec un camion et les emmenait au zoo ou je ne sais quoi. Ou s'ils s'envolaient tout simplement. »
J.D. Salinger, L'attrape-coeurs (The catcher in the rye), 1951.
5. Petit café, petite bitte
« Parce que vous savez, on a eu des plaintes. Une famille de Lublin dont l’homme ne voulait pas payer, on avait dû appeler la Police… »
6. Hopper
"Si vous pouviez le dire avec des mots, il n'y aurait aucune raison de le peindre."Edward Hopper.
7. Réveil
Mon téléphone me réveille. J’essaye d’ouvrir les yeux mais ils sont collés, encore un retour de sinusite kamikaze chronique.
Quelle heure était t’il ? Combien de temps avais-je dormi ? Et puis, dans quel pays étais-je ?
Deux appartements plus haut, on pouvait entendre le bruit caractéristique d’un marteau de cuisine écrasant une côtelette de porc fraîche.
Alors OK, on était bien en Pologne.
8. Un soir au bar
ELLE : et sinon tu viens d’où ?
LUI : de Paris.
ELLE : ah bon ! Pourtant tu parles si bien polonais, j’aurais juré que tu étais d’ici
LUI : non, je suis Français
ELLE : mais tu veux bien me montrer ton passeport ?
LUI : non.
ELLE : ça va je te crois, mais je suis sûre que tu n’est pas Français.
LUI : si tu veux vraiment savoir, mon père est né à Barcelone puis ils ont bougé vers la France, puis l’Argentine, puis il a été naturalisé Français à son retour d’Algérie avant de partir pour NYC.
ELLE : mais c’est n’importe quoi !
LUI : sa première femme était Française, elle n’est plus de ce monde, et je lui dois la vie autant qu’à ma mère, qui vient de Poznan.
ELLE : pfff… vous les Français, vous êtes mal élevés et jamais sérieux, on ne sait jamais si c’est de l’humour. Je t’ai pourtant posé une question simple, et toi tu te moques de moi. Tu ne pouvais pas répondre quelque chose de simple ?
LUI : Non, je ne pouvais pas.
9. Jean Gasparoux
Dans la compagnie B3 des insurgés de Varsovie, y’avait un moustachu à l’air espiègle qui ne parlait pas beaucoup, il était français. Il s’appelait Jean Gasparoux, c’était un para qui s’était enfui d’un oflag quelque part en Pologne et qui se cachait à Varsovie. Gasparoux c’est un nom plutôt auvergnat, mais on ne sait pas vraiment d’où venait ce héro extravagant, ce combattant de calme et de sang froid, genre de type qui par sa seule existence jouera la réputation de sa nation aux yeux d’une autre. Il avait rejoint la compagnie aux premiers jours de l’insurrection, et serrait les dents. Mais un jour, alors qu’un panzer entrait dans la rue Czerniakowska, ne laissant plus aucune chance aux Polonais derrière la barricade, Jean Gaspapoux en a eu marre, s’est soudainement mis à découvert et poussé un gueulante en direction des Allemands. « Bordel de merde ! Enfants de putains ! Enculés ! Moi je vous prends tous en duel » ! Et ils conviennent lui et l’officier Allemand d’une heure convenable pour se tirer dessus.
Midi pétante, dans la rue, d’un côté le para Français, en haillons, l’homme libre évadé de camp qui veut rentrer chez lui, de l’autre, l’officier sûr de lui, propre, qui veut montrer sa bravoure et sa supériorité à ses subordonnés. Ca sent la cagade. Pendant que les Allemands regardent leur officier marcher puis tirer et louper plusieurs fois sa cible, et le Français faire de même avec son pistolet antique, les Polonais se planquent près d’un balcon et préparent une gigantesque bombe à base de grenades et de plastique piqués à l’ennemi.
Quand Jean Gasparoux et l’officier allemand finirent leurs munitions, le duel prit fin. Le Français rejoignit ses frères Polonais tandis que l’Allemand lançât une contre-attaque contre le bâtiment pour en finir avec ce Franzose. Ils étaient juste en train d’accourir près de l’entrée au moment où ils virent les Polonais balancer par-dessus bord l’énorme bombe. Les pauvres Polonais furent sourds pendant plusieurs jours, et on ne retrouva trâce de cette compagnie d’Allemands. On vit juste un peu de bigos sur les murs… On ne retrouva jamais Jean Gasparoux après la guerre. On sait juste qu’il a survécu et qu’il est reparti en France, ouvrir un bar-tabac. Peinard, à la fraîche.
10. Zbawiciela
Dans le sud du centre ville de Varsovie, il y a une place très connue des Varsoviens qui à elle seule porte tous les symboles de pourquoi je suis venu à Varsovie, pourquoi j’ai aimé et vécu dans cette ville, et de pourquoi j’y suis encore. Et de pourquoi je devrais partir un jour. Cette place ronde, quadrature du cercle reconstruite en partie après la guerre par un admirateur de la Place des Vosges à Paris, c’est la Place Zbawiciela, la place du sauveur, et c’est un rond point qui fait partir ma tête dans toutes les directions. C’est « Zbaw ».Zbaw, c’est le Plan B, bar hipster où j’ai passé une partie de 2010, 2011 et 2012. C’est aussi Charlotte, le bar bobo ouvert par une admiratrice polonaise de Paris, le spot de la jeunesse dorée Varsovienne et des vieilles aristos du quartier se délectant de tartines de jambons à la moutarde. Charlotte et Plan B sont l’un à côté de l’autre, leurs terrasses se côtoient et se mélangent, d’un coté bières et fixies volés, et de l’autre, sauvignon blanc et vélo hollandais achetés neuf. J’ai de bons souvenirs dans les deux endroits, notamment une bataille de pichets de vins à Charlotte, mais j’ai des souvenirs dans tous les établissements de la place, au viet Huong d’en face qui à fermé, au petit café orienté nord qui n’attire personne et dont le proprio change chaque année, et même au mini bar à l’angle de la rue Nowowiejska.
Mais Zbaw, c’est aussi une église imposante, néogothique de 1900, construite sur un terrain acheté à un français, l’église où allaient ma famille, Michal et Jadwiga et leurs enfants Josek, Stan et Hania. Ils y allaient tous les matins, tant qu’ils le pouvaient, c’était leur seule attraction, eux qui assistaient à la fin de leur monde, dans un 30m2 à deux pas. Je ne ressent rien d’autre que leur amour, quand je suis assis en terrasse et que je bois à leur santé, en face au Plan B.
Mais Zbaw, c’est aussi l’arc-en-ciel. Une jeune artiste polonaise a construit une grande arche décorée de fleurs multicolores que tout un ramassis d’ultras catholiques, supporters de foot nationalistes, et rebelles sans causes d’une Pologne qui va trop bien ont interprété comme une insoutenable provocation. L’arc en ciel prend feu de temps à autre, après des matchs importants, et méthodiquement, on le reconstruit, des gens déposent de vraies fleurs pour payer leur respect à l’idée qu’ils se font de la Pologne. L’état de la « tecza » c’est la météo politique du pays.
Mais Zbaw symbolise aussi l’aboutissement de décennies de recherches de ma famille. En arrivant à Varsovie j’ai terminé la quête que mes grands parents n’avaient pas pu achevé faute de moyens dans la Pologne d’après guerre. Ils n’avaient jamais pu reconstituer la passion de leurs parents. Suite à un thriller haletant, j’ai fini par rencontrer des témoins et des historiens, de lire des livres que je n’aurais jamais dû lire, et d’aller dans des endroits que je n’aurais jamais soupçonnés. L’histoire est longue, et elle prend fin le 6 aôut 1944 sur la place Zbawiciela, mon arrière grand-mère servant de bouclier humain pour un Panzer en train de charger une barricade, quelques jours à peine avant la libération de Paris. Fut-elle explosée par un obus, tuée par les insurgés eux-mêmes obligés de ne pas jouer le jeu, ou par une balle allemande, ou bien roulée dessus par le géant de métal ?
Je descends les escaliers de Plan B avec 4 bières en équilibre dans mes grandes mains. Je sors et je vois Boris, Seb, Alex, et puis Pierre qui vient d’arriver avec Artur, nous sommes en terrasse, je vois l’église du Sauveur puis jette un œil sur les perles blondes de Charlotte, alors un tramway rouge sang passe sous l’arc-en-ciel dans un fracas métallique.
11. Gender
Nous les hommes, les mâles, les mecs, la meute, la bande, les machos, les frenchies, la famille on aime bien se réunir sans nos femmes des soirs de mauvais temps. Comme ça on peut parler de ce qu’on veut sans se faire interrompre par leurs discutions de femmes Varsoviennes.
Par exemple l’autre jour, alors que nous discutions tranquillement entre potes des meilleurs plans pour trouver des produits français frais, et qu’on s’échangeait les nouvelles recettes de cuisine qu’on avait pu expérimenter, on avait laissé nos meufs aller dans un autre bar pour qu’elles aient leur discutions de filles autour d’une bière.
Hania, 26 ans, directrice d’un call center de 280 personnes, était face à deux dilemmes. Quelle voiture de fonction choisir, la Passat Break ou le coupé sport ? Et puis, quel prof de Français choisir pour faire évoluer sa carrière ? Kasia de son côté devait décider si elle montait son business ici en Pologne, ou si elle partait à L.A. Olivia allait bientôt monter son activité, alors elle la tiendrait au courant des démarches.
Pierre nous parle alors du Gender. Lui et Hania ont la TV française, et c’est lui qui est à chaque fois au courant des dernières inventions en France. J’avais déjà vu à paris cette mode des coloriages pour adultes, j’avais entendu parler de cette thérapie où l’on se met en cage avec des chatons, mais le Gender, là c’était nouveau.
Il nous a expliqué que le concept, c’était d’éduquer les filles à faire des trucs virils, et les garçons à faire des trucs de filles. Les hommes feraient de la cuisine et du tricot, pendant que les femmes joueraient aux voitures.
Bof, je lui dis. Je crois pas que ça soit possible un jour. Enfin, pas possible en France. Partout ailleurs, c’est déjà la norme.
12. FT17
Seb m’appelle de Zegrze. Je devais le récupérer ce matin dans le centre de Varsovie pour filer à 150 km au sud chez des amis communs. Mais il me dit que la soirée ne s’est pas déroulée comme il avait prévu. Et qu’il a atterri dans une soirée désintégration d’entreprise dans un manoir à soixante dix kilomètres au nord de Varsovie. Je ne comprends pas bien.
Je me mets en route pour gagner du temps, et à l’arrivée, la vue vaut le détour. Vue sur le lac, vue sur le palais, vue sur toutes les filles qui entourent mon pote aux pieds nus, manipulateur né, avachi au milieu de la pelouse, wayfarers, l’air fatigué, café dans une main, téléphone dans l’autre. Je lui dis de se grouiller, bordel, d’arrêter ses bêtises, mais on ne le fera pas, on prendra des cafés jusqu’à ce qu’on comprenne qu’on aurait quatre heures de retard. Cet hotêl de Zegrze restera un monde à part, à chaque fois que notre bande de pote y passera.
Alors qu’à travers la sono Mick Jagger bégaye avec insistance : You can’t Always get what you want, assis dans ma voiture, monument historique vert délavé, Seb se met à causer, inspiré :
« J’ai lu récemment une histoire qui te plaira. C’est l’histoire d’un char d’assaut. » Et en effet l’histoire me plut. La Pologne avait reçu en 1919 des chars de l’Armée française, des Renault FT17 qui avaient servi à la fin de la guerre mondiale. La Pologne, à nouveau sur la carte après 123 ans de disparition grâce au président Wilson, est mécontente du traité de Versailles. Les frontières qu’on lui avait données n’étaient pas celles dont elle avait rêvée. Elle déclara donc la guerre à l’URSS, pays cinq fois plus peuplé! De nombreuses nations occidentales envoyèrent alors des officiers formateurs en Pologne. Parmi eux, un jeune capitaine français qui avait fui la France d’après guerre par ennui, qui s’appelait Charles de Gaulle. Les chars FT17 furent utilisés en ordre dispersé lors de la grande bataille du « miracle de la Vistule », qui scandalisa De Gaulle car il vit Pilsudski quitter Varsovie pour rejoindre le groupe d'armées, en disloquant complètement l'organisation générale du front afin de prendre personnellement le commandement des unités chargées de la contre-attaque décisive contre les bolcheviques. Victoire morale mais non stratégique. Les chars FT17 furent mal utilisés et De Gaulle écrira dans son rapport que les chars doivent être rassemblés et non dispersés. Vingt ans plus tard, il verra Paris tomber fatalement sous cette idée qu’il n’était pas le seul à avoir.
Des FT17 de l’Armée polonaise furent saisis par les bolcheviques, mais comme ils ne savaient pas quoi en faire, ils en firent cadeau à des pays amis. L’Emir afghan Amanullah Khan, qui sortait d’une guerre civile et d’une guerre d’indépendance contre les Anglais, et qui créait une armée moderne, reçu en 1923 des Russes quelques exemplaires des FT17 polonais.
Puis pendant quatre-vingt ans, ces quelques chars Renault coulent une existence tranquille et oubliée dans le désert d’Afghanistan, et ce sont les Américains qui tombent dessus en 2003 dans une casse de matériel militaire. Leurs alliés polonais achètent alors un exemplaire en bon état. Le char revient en Pologne, et après rénovation prend par au défilé de la fête Nationale, le 11 novembre, fête qui commémore la renaissance de la Pologne grâce au traité de Versailles. La boucle était bouclée.
A la fin de son monologue, la voiture était à l’arrêt, et on s’est regardés. On venait de comprendre quelque chose. Cette histoire de tank errant, c’était la nôtre, à nous tous les fils de sales Polacs, de Juifs, Catalans, les bezpanskie kundele, les oubliés de la victoire qui s’étaient condamnés sans le devoir à l’errance et l’exil pour mieux comprendre leurs propres parents et ancêtres, retrouvant la force et la vigueur de l’émigrant. Nous qui avions le départ comme arrivée, le questionnement comme réponse, et l’exil comme patrie. Nous qui nous efforcions de renaître sans cesse.
13. Scandalist
« Toute personne qui pense fortement fait scandale. »
Honoré de Balzac.
En février 2012, en passant dans la rue, j’ai vu une affiche magnifique avec un homme en costume-cravate-chapeau et lunettes de soleil portant le titre : « Scandalist ». Je l’ai pris en photo pour l’envoyer à mon ami Seb, car ce Scandalist me faisait penser à lui. Sébastien était l’homme par qui le scandale arrive, toutes les filles de Varsovie étaient amoureuses de lui, et il avait du mal à choisir. Au travail, dans notre groupe d’ami, partout, c’était un homme traqué, qui devait aller jusqu’à être méchant pour qu’elles le laissent tranquille... Il a du fuir Varsovie en mars 2012 pour que les choses se calment. Il a travaillé comme journaliste au Maroc, et nous a fait la surprise de revenir à Varsovie en Novembre. On n’eut pas eu le temps de le revoir encore, que l’affreuse nouvelle arrive, qu’il est mort lors d’une fête dans l’appartement de sa copine très jalouse et très bizarre. J’étais à Madrid lorsque je l’ai appris, évidemment. Le weekend suivant, nous allons à l’enterrement, qui se passe à Cracovie, donc à 400 kilomètres de Varsovie. Je n’ai jamais rien vu de pire que de voir une mère hurler quand descend son fils en terre. Les ex petites amies se succèdent, voilées de noir, une rose à la main. Les chiens des environs hurlent pour leur frère disparu. Et ce soir là, nous emmenons son petit frère dans un bar, pour lui témoigner notre soutien. Et dans l’alcôve de l’entrée du café, nous avons un choc : l’affiche du Scandalist est sur le mur ! Depuis j’ai contacté l’auteur de cette affiche, un jeune graphiste de Varsovie: seules 10 affiches ont affichées dans 3 villes du pays et 15 ont été vendues... La probabilité de voir cette affiche après l’enterrement était donc surnaturelle. Mon coté scientifique m’empêche de croire en un Dieu en robe de chambre blanche sur un nuage, mais beaucoup de religions disent que « Dieu est amour », et ce jour là selon cette définition, nous avons vu Dieu : à un moment où nous étions dans le doute le plus profond et le vide le plus sec, cette affiche de street-art nous a donné un signe d’espoir. Aussi nous sommes aujourd’hui quelques uns à avoir acheté l’un des 100 exemplaires de cette affiche. Mais personne ne l’a encore affichée. L’art a fait d’une histoire horrible le moyen d’aider un peu un artiste brillant et de se souvenir par une oeuvre d’art d'un homme qui fut notre plus grand Ami.
14. La destruction du Scandalist
“L'homme de pouvoir est détruit par le pouvoir, l'homme d'argent par l'argent, l'homme servile par la servilité, l'homme de plaisir par le plaisir. Ainsi le Loup des steppes fut-il détruit par sa liberté.”
Hermann Hesse, Le Loup des Steppes.
15. Héro
Le premier enterrement où je me suis rendu en Pologne fut celui d’un Héro : Marek Edelman.
La Pologne de la minorité payait un dernier hommage à l’homme, rassemblée devant le monument aux combattants du ghetto. Qui ne s’est jamais senti d’aucune majorité se retrouvera dans l’histoire de cet orphelin turbulent, non religieux, ce rebelle infatigable. Infirmier de l’Umschlagplatz, il fit évader des gens promis à la mort. Membre fondateur de la Zydowska Organizacja Bojowa (Org. Juive de Combat), il prit part au soulèvement du ghetto le 19 avril 1943, mené par Mordechaj Anielewicz, qui se suicidera le 8 mai dans son bunker, lui qui n’avait pas 25 ans. Edelman devint commandant des derniers résistants qui s’opposent pendant trois semaines à 2000 SS. Seuls 40 pourront fuir à travers les égouts alors qu’à la surface les nazis brûlent méthodiquement tout ce qui fait encore penser à une ville. Edelman participe ensuite à l’insurrection de Varsovie en 1944.
Après guerre, lui et sa femme Alina Margolis seront médecins à Lodz, et comme cardiologue, il fut pionnier mondial dans certains domaines. En 1968 le parti communiste organise une campagne antisémite. Tous les Juifs doivent partir ou tout perdre. « Il faut bien que quelqu’un reste », dira Edelman à sa femme en partance pour la France en 1971, où elle fondera Médecins sans Frontières. Seul, ayant tout perdu, il tombe progressivement dans l’alcool. Il participe à l’opposition démocratique, est interné pendant l’état de guerre de 81, devient le médecin de confiance des dissidents.
Après la fin du communisme, il sera réintégré comme cardiologue à Lodz, où il travaillera jusqu’à 88 ans passés. Il aura toujours refusé d’assister à des commémorations officielles, lui le rebelle, mais chaque 19 avril depuis 45, il parcourait à pieds les rues du ghetto en se recueillant devant les monuments à la mémoire de ses copains. Au fil des ans, cela devint une marche, la marche des survivants, des rebelles, des alcoolos, de ceux qui ne pensent pas en majorité, de ceux qui ont peur des flics.
16. Prénoms
Prénoms Juifs au mémorial de l’Umschlagplaz
(place de transbordement)
Ghetto de Varsovie
Dans les wagons plombés
Des prénoms traversent la contrée,
Mais jusqu'où ils voyageront,
Si un jour ils en descendront,
Je n'en sais, je ne vous dirai rien.
Prénom Nathan cogne contre la cloison,
prénom Isaac hurle et chante sa folie,
prénom Sarah pour deux gouttes d'eau supplie,
puisque se meurt de soif le prénom Aaron.
Ne saute pas dans le vide, prénom David.
Ce prénom te flétrit pour la vie,
Ce prénom on ne le donne à personne,
C'est trop lourd à porter par ici.
Que ton fils porte un nom slave et blond,
Car ici, chaque cheveu on recense
Car ici on sépare le bon grain de l'ivraie
D'après tes paupières et d'après ton prénom.
Ne saute pas. Que ton fils s'appelle Lech.
Ne saute pas, Ce n'est pas encore l'heure.
Ne saute pas. La nuit rit aux éclats,
Et ricanent les wagons sur la voie.
Un nuage humain passe sur le pays,
Grand nuage, et une larme pour toute pluie,
Petite pluie, rien qu'une larme, quelle sécheresse.
Et les rails dans le noir disparaissent.
C'est comme ça - fait la roue. Pas de clairière.
C'est comme ça - train de cris à travers bois.
C'est comme ça - dans la nuit, je l'entends.
C'est comme ça - le silence cogne le silence.
Wislawa Szymborska – Encore - 1957
17. Drapeau
18. Burnout
- L'humanité finira en burnout complet, à faire des coloriages en position fœtale dans des boites en verres avec des chatons, et n'en sortir que pour se vendre des assurances-vie les uns les autres et manger des burgers.
- Tu réfléchis trop mon vieux. Tu sais quoi, tu devrais faire des découpages, ou un blog, ça te calmerait.